Au départ, ça devait être un raid à skis de 6 jours. La liste des sommets à cocher et des options était prête.
La météo en a décidé autrement..
Réunis au chalet de Muriel à Tignes, nous avons passé une première journée à skier sur pistes et hors pistes en station, dans le mauvais temps, histoire de patienter.
Heureusement, le temps s’est mis au beau, comme prévu, dès le lundi 29, et nous avons pu partir. 4 jours, et non 6, car la perspective d’une nouvelle perturbation dès le vendredi s’avèrera exacte, nous obligeant à écourter notre boucle (mais pas notre semaine).
Stéphane, Bertrand (actif au CAF de Auch), Cécile, Jean-Luc, Damien et Thierry composent le groupe.
Premier jour :
Départ de Tignes/Val Claret. Pas d’autre possibilité que de remonter les pistes jusque dans le vallon de la Leisse. Heureusement, en cette fin de saison, et à cette heure matinale, les skieurs de pistes sont rares. Rejoignant enfin la neige vierge à proximité du col de la Leisse, nous descendons bientôt vers le refuge éponyme, dominés par la Grande Motte 3653 m. Le ciel est bleu, la neige poudreuse, le voyage commence bien !
Au vu des quantités de neige tombées, je suis un peu inquiet pour notre prochaine traversée dans des pentes sud, une fois le col de Pierre Blanche franchi. Le risque d’avalanches ne sera-t-il pas critique ? Les pentes dominent des barres rocheuses.. On avisera..
Pour le moment, dans cette montée vers le col (2842 m), nous découvrons, à l’ouest, des paysages merveilleux, dominés par le seigneur des lieux, la Grande Casse et ses 3855 m d’altitude.
Une fois le col franchi, je suis rassuré : les pentes sud ont été largement déneigées par le soleil ces dernières semaines. Nous avons donc de la chance que la dernière chute de fraîche nous permette d’y skier ; sinon il aurait fallu porter les skis davantage encore que nous ne le ferons. Donc risque d’avalanche faible, et c’est là l’essentiel. Après une longue et belle traversée descendante, face à de nouveaux sommets (Grand Roc Noir, pointe de Vallonnet, etc), il nous faut déchausser pour traverser des parties sèches. Sans se perdre de vue, nous adoptons des solutions différentes : traverser à flanc sur le sec, profiter d’une langue de neige pour rejoindre le fond du vallon à skis et repeauter,…
Le refuge de la Femma nous accueille au bout du vallon. Les habitants des lieux sont principalement les marmottes, qui viennent se chamailler jusque sous la terrasse du refuge, ce qui nous donne l’occasion de les regarder de près.
Illustration de ce court récit : https://photos.google.com/share/AF1QipMwMcwPcoIRezEjdc86nT_xph-6sfBTsqcfqt5fEeEPVIB_K3E8P5YK0XRoiKZSLA?hl=fr&key=cVJzcEJkeWVPaEFoeFE4bVd5clgyTnZyR0VXSEdR
Deuxième jour :
Les prévisions météo confirment l’arrivée probable du mauvais temps dans 3 ou 4 jours. J’avais prévu de rester 2 jours à la Femma, et d’écumer le secteur, mais la priorité sera donnée à l’objectif n°1 : la Grande Casse à skis.
Il nous faut donc, dès aujourd’hui, rejoindre le refuge du col de la Vanoise.
Pas par le vallon de la Femma, naturellement, ce serait trop simple !
Nous allons passer par les hauts, versant nord, sous les grands sommets, pour rejoindre le confluent des torrents vers le secteur d’Entre Deux-Eaux, remonter vers la pointe de la Réchasse, et basculer vers le refuge Félix Faure (refuge du col de la Vanoise).
Longue traversée ascendante donc, vers un plateau sous la pointe de Grand Vallon. Pendant que j’effectue une réparation sur une chaussure, deux d’entre nous montent plus haut explorer. Hélas, je ne parviendrai pas à les joindre au talkie-walkie pour qu’ils nous rejoignent, après 5/10 mn de bricolage. L’escapade, que je pensais durer un quart d’heure, durera une heure. Le retard pris nous coûtera le sommet de la pointe de la Réchasse en fin de journée..
Car l’itinéraire est beau, mais long. Une descente suivie d’une montée au col de Lanserlia (plus le temps d’aller au sommet pourtant tout proche), nous permettent de basculer sur le vallon de Plan du Lac, où se trouve l’autre refuge du Parc de la Vanoise (la Femma étant le premier). Au confluent des torrents, nous sommes à 2000 m d’altitude, ce qui en fait le point le plus bas de notre périple.
Nous avons déjà 1100 m d’ascension dans les jambes, et une montée de 1000 m nous attend, face sud, en début d’après-midi.. Je ne suis pas inquiet concernant le risque de coulées, les pentes sont stables et l’iso 0 est suffisamment bas aujourd’hui. Il ne nous faut qu’un peu de persévérance et de continuité dans l’effort pour progresser assez vite avant l’arrivée des nuages convectifs de fin d’après-midi. Les panoramas sont grandioses, je suis content d’avoir choisi cet itinéraire.
Une fois le col franchi, la descente directe sur le col de la Vanoise, sous le plafond de nuages, se fait avec une visibilité très correcte.
La découverte du nouveau refuge est une bonne surprise : vaste, confortable, avec une pièce chauffée pour les affaires humides. Bonne surprise, nous trouvons Aurélie, qui a passé plusieurs années à Toulouse, et qui a partagé nombre de journées en montagne avec le Club dans les Pyrénées.
Seul bémol, l’absence d’eau pour les toilettes, qui condamne l’essentiel des commodités. Heureusement que le refuge n’est pas complet ce soir !
Troisième jour :
C’est LE jour que tout le monde attend ! La Grande Casse, c’est un sommet que tout skieur-alpiniste rêve d’avoir gravi et descendu au moins une fois dans sa vie !
Départ assez matinal, mais pas trop. Nous dormons à nouveau au refuge ce soir, la météo sera stable aujourd’hui, rien ne nous presse.
Une fois les premières pentes remontées, tous chaussent les crampons et mettent les skis sur le sac pour gravir le « grand couloir ». Incliné à environ 40° sur 300 m, il est en neige assez cahotique. Mais les marches ont été faites par les premiers, il suffit de mettre un pas au-dessus de l’autre. C’est le moment qu’attend le froid mordant pour se saisir de mes doigts, et je me paie la plus belle onglée depuis des années !
L’arrivée sur le plateau du col , au soleil, est un vrai réconfort, et l’onglée, qui ne m’a pas quitté, me laisse enfin tranquille.
Nous rechaussons, et c’est skis aux pieds que nous parvenons au sommet, à 3855 m ! La vue à 360° est bien sûr épatante, jusqu’en Suisse (Cervin et Mont-Rose). Le Mont-Blanc, au nord, domine le paysage.
Je m’efforce de reconnaître un maximum de sommets. Les photos serviront, je n’en doute pas, pour de futurs projets..
En particulier, la vue plongeante dans la vertigineuse face nord me permet de confirmer le projet de fin de boucle pour le lendemain : l’itinéraire promet d’être grandiose !
Nous descendons les pentes soutenues, en neige poudreuse, vers le col des Grands Couloirs. A y être, nous montons visiter la pointe Mathews, ce qui nous donne une perspective encore différente du secteur, et du recul sur le sommet de la Grande Casse.
Le début de descente est un régal, avec de la neige froide… jusqu’aux grands couloirs.
Malgré l’heure avancée (14h), rien n’a dégelé dans cette grande pente. C’est donc dans un vrai chaos de boules, de rigoles et de pièges divers, à 40°, que nous devons descendre les 300 m centraux. Cette partie de la descente ne sera pas le meilleur souvenir de la semaine..
Heureusement, le bas de la descente est en neige de printemps, et nous retrouvons du plaisir à skier.
Nous rejoignons le refuge. Pas d’extra, c’est le troisième jour, les organismes ont beaucoup donné, des pieds ont souffert, l’heure est au repos..
Quatrième jour :
La météo devrait se dégrader dans la journée, mais quand ?
Je veux franchir le col de la Grande Casse, passer sous la face nord, aller chercher le glacier de Pratmort, remonter vers les cols de la Croix des Frêtes et du Palet, avent de rejoindre Tignes.
L’itinéraire promet d’être beau, et même peut-être le plus beau de la semaine. Il serait dommage, voire dangereux, de s’y retrouver dans le mauvais temps.
Nous partons donc tôt, et remontons la longue moraine et le « glacier » vers le col de la Grande Casse, à 3091 m. Le changement d’univers est immédiat : de l’ombre à la lumière du soleil, des grandes faces sud qui nous dominaient à la majestueuse face nord de la Grande Casse.
Il fait toujours beau, et c’est essentiel pour la suite : nous allons évoluer sur un glacier potentiellement crevassé, un plateau incliné dominé par les séracs de la face nord, et dominant un chaos de séracs en contrebas. Le passage est large, mais les consignes sont strictes : espacements, tout le monde dans la même trace. J’ouvre la voie, c’est mon rôle. Heureusement, ce glacier de Rosolin s’avère bien bouché, et c’est sans crainte particulière que nous parvenons à son extrémité est, soit environ… 2 kms de traversée descendante !
Je n’ai pas de renseignement sur la descente sur le glacier de Pratmort, il semble que cet itinéraire ne soit pas fréquenté. C’est bien dommage : la première pente, régulière à 35° sur 200 m, en bonne neige décaillée, sera l’une des meilleures de la semaine !
La suite est une découverte constante, entre le centre du glacier, parfois tourmenté, et les moraines latérales, parfois menaçantes mais bien « saisies ».
C’est encore sous le soleil que nous remontons sur la moraine des « murs rouges », mais le mauvais temps arrive par l’ouest, il a déjà envahi les hauts sommets.
Nous pressons donc le pas jusqu’au col de la Croix des Frêtes, puis jusqu’au col du Palet. Etonnamment, la perturbation semble faire du sur-place, le ciel nous dévoile des coins de bleu, et nous pique-niquons au soleil avant de descendre les pistes vides (station partiellement fermée) jusqu’à Val Claret.
C’est en bus, et en stop, que nous rejoindrons le chalet, aux Boisses. Oui, il faut revenir à la « civilisation »..
Je tiens à remercier :
- Ma cousine Véronique et son mari Patrick, qui m’ont si bien accueilli à Challes-les -Eaux avant ce périple
- Muriel, qui a mis a disposition pour nous son merveilleux chalet aux Boisses
- Mes compagnons d’itinérance, Thierry, Bertrand, Stéphane, Jean-Luc, Cécile et Damien ; chacun a donné le meilleur de lui-même et de ses compétences pour faire de ce raid à skis un moment mémorable
Jean Le Corre