Cela faisait 29 ans que je n'étais pas retourné dans cette vallée du Pelvoux ! Etudiant à Grenoble, j'avais gravi mon premier "4000" à skis, le Dôme des Ecrins. Avec le matériel de l'époque, et avec une météo très moyenne, des nuages et du vent au sommet.. Mais j'avais entrevu la Barre, dont le profil acéré se profilait bien au-dessus de nous.. Depuis, je rêvais de gravir un jour ce sommet du massif des Ecrins, ultime "4000" au sud des Alpes..

 

Je ne pouvais donc que me réjouir qu'un camp d'escalade, organisé par Marie-Christine (Dall Ava) et Philippe (Millan), se déroule à Ailefroide du 11 au 18 juillet. Idéalement basé au camping d'Ailefroide, entouré de plusieurs falaises présentant des voies de tous niveaux, de la couenne à la grande voie, dominé par la masse imposante du Pelvoux (3943 m), ce camp allait rassembler, pendant une semaine, une quinzaine de grimpeurs passionnés : Claude, Denis, Mylène, Nicolas et les autres partirent donc chaque matin, bardés de quincaillerie, pour gravir des voies parfois qualifiées d'étonnantes à leur retour, le granite du Pelvoux réservant quelques surprises..

 

Plutôt orienté vers l'alpinisme et la découverte du massif, j'avais sélectionné, depuis Toulouse, quelques courses intéressantes et techniquement peu difficiles, mais toujours aériennes, et qui nécessitent toutes les attentions attachées au terrain d'aventure : la qualité du rocher, les prises qui bougent, l'exposition, la longueur de la voie, l'approche sur glacier ou en terrain mixte, etc...

 

A pied d'oeuvre dès samedi 11, je monte avec Thomas et Cécile au refuge du Glacier Blanc. Montée rondement menée, qui nous permet de découvrir à quel point le glacier a diminué depuis presque 30 ans. Je me souviens parfaitement avoir été visité l'extrémité du glacier, plusieurs centaines de mètres en dessous de son niveau actuel..

 

Après la nuit la plus chaude que j'ai connue dans un refuge (j'évoque la température, bien sûr, plus de 30° dans le dortoir certainement) et un réveil à 2h45 alors qu'il était prévu pour nous à 4h, nous remontons la moraine au-dessus du glacier, direction le col de Monetier. Nous mettons bien les crampons pour nous élever dans les pentes de neige, vers 2800 m, mais le constat est clair : c'est un été très sec ! D'ailleurs, la vire du col de Monetier, que les topos prennent soin de décrire comme un passage potentiellement délicat, passe aussi facilement que la vire des fleurs du Mont Perdu, à sec. Nous remettons les crampons pour aller chercher le pied du col Tuckett qui est, lui, plus délicat à aborder, tellement le niveau d'enneigement est bas. Une longueur d'escalade en 3+ nous permet de prendre pied sur le col, puis d'enchaîner une autre longueur. La suite est moins évidente, en termes de cheminement. Nous choisissons de nous élever assez vite vers l'arête, transformant certainement cette course PD en course AD-. Le vrai cheminement, nous le suivrons à la descente, il est partiellement cairné. Cette option nous permet cependant de grimper, en exploitant les ressources du terrain pour s'assurer aussi correctement que possible : friends et coinceurs serviront autant que les sangles.

Un long rappel nous permet de reprendre pied sur la neige, et de revenir par le même chemin au refuge. Nous avons passé beaucoup de temps dans la voie, la journée a été longue.. Alors, un repos bien mérité ? Que nenni ! La soupe nous attend à 18h30... au refuge des Ecrins, 700 m plus haut et quelques kilomètres plus loin.. C'est sous le cagnard que nous effectuons cette montée, avec des sacs bien lourds.. Le spectacle que nous offrent la Barre des Ecrins et ses satellites mérite cependant cet effort. Le refuge se situe désormais 150 m plus haut que le glacier, encore un effet de la fonte de celui-ci..

Jean-Pierre est monté dans la journée au refuge, il constituera le quatrième homme pour les deux prochains jours.

Les photos de ces deux journées : https://picasaweb.google.com/JeanLeCorre31/MontagneDesAgneaux3664MParLAreteSud02?authkey=Gv1sRgCJzu0bj6pt-dggE&feat=email 

 

La journée ayant été longue, la course du lendemain sera plus facile.. J'avais envisagé le pic de Neige Cordier. Pourquoi ? Parce que, enfant, chez mes grands-parents, en Bretagne, j'avais rêvé en examinant une carte postale en noir et blanc intitulée "Montagne des Agneaux et pic de Neige Cordier".. Alors, je voulais gravir ces 2 sommets. Malheureusement, les conditions exécrables d'accès au col Emile Pic nous dissuaderont de tenter cette ascension. C'est donc sur un des plus beaux belvédères du secteur, Roche Faurio, que nous nous dirigeons en ce 13 juillet. Une approche glaciaire classique, un petit passage rocheux intermédiaire, un beau passage près de l'à-pic du vallon de Bonne Pierre, encore des rochers, et, pour finir de façon ludique, un vrai petit parcours d'arête, où il faut assurer en utilisant les ressources du terrain, becquets rocheux et autres fissures.. Un retour en début d'après-midi donnera l'occasion à Jean-Pierre de nous écraser au Scrabble, à l'abri du refuge..

Les photos : https://picasaweb.google.com/JeanLeCorre31/RocheFaurio3750M?feat=email

 

14 juillet, fête nationale ! Pourvu que nous soyons à la fête sur la Barre des Ecrins ! Départ très matinal (4h) évidemment.. Des cordées nous ont précédés. Cécile et moi d'une part, Thomas et Jean-Pierre s'autre part, prenons hors-piste pour doubler tout ce beau monde à moitié endormi, sauf la cordée de tête, qui accélère lorsque j'arrive à sa hauteur.. Ridicule.. Cependant, il ne faut pas me chercher sur ce terrain-là, et nous passons devant... avant de faire une pause à l'approche de la montée dans la face..

C'est vers 3800 m que le soleil nous atteint de ses premiers feux ; la neige prend alors une couleur rose qui illumine les cathédrales de glace et de neige qui nous entourent.. Tout simplement splendide ! La rimaye qui sépare la Barre du glacier est tout bonnement infranchissable, le couloir Coolidge ne sera pas pratiqué cet été.. Même la rimaye qui permet d'accéder au Dôme, et au départ de l'arête de la Barre, constitue un "os" : moyennant deux broches à glace, je force un passage à droite de la voie de descente, à la suite, je le précise, d'une cordée qui m'y avait précédé.

La traversée est-ouest de la Barre , que nous avions envisagée, s'était déjà révélée une option à rejeter la veille, après observation à la jumelle. Et plus encore sur place. Couloir d'accès trop sec, une longueur difficile à protéger. Plusieurs cordées y sont allées voir, une seule a tenté le passage. Les guides ne veulent pas y aller en ce moment, c'est dire...

Côté ouest, l'accès aux rochers brisés se fait facilement, en quelques pas (un peu délicats pour certains) sur la glace. Il faut ensuite enlever les crampons, car nous ne mettrons plus les pieds dans la neige jusqu'au sommet.. L'escalade est assez facile, mais nécessite de poser des assurances, lorsqu'on est avec des alpinistes débutants. Nous prendrons le temps qu'il faut pour l'aller-retour, c'est-à-dire... à peu près trois fois le temps que mettrait une cordée autonome rapide en manips.. Mais il fait beau, nous avons de la marge, profitons de ces moments, restons zen..

Une fois le pic Lory (4088) atteint, l'objectif se rapproche à grands pas. Enfin la cime, 4102 m !! Moins écrasant que la vue depuis le sommet du Mont-Blanc, le panorama depuis le sommet de la Barre des Ecrins est l'un des plus beaux des Alpes. Il permet cependant de mesurer, d'un coup d'oeil circulaire, le recul et la souffrance de tous les glaciers du secteur..

Le retour se fera avec les mêmes précautions qu'à l'aller, nous permettant ainsi de profiter de la montagne plus longtemps que toutes les autres cordées ; une façon de dire que nous passons la rimaye du Dôme en bons derniers, par une série de moulinettes dont Cécile se souviendra ;-)

Une longue, très longue descente nous ramène au Pré de Madame Carles, 2300 m en aval du sommet de la Barre. La douche du camping, aussi sommaire fût-elle, se révéla la meilleure du monde à ce moment-là..

Les photos : https://picasaweb.google.com/JeanLeCorre31/BarreDesEcrins4102M?feat=email

 

Repos le lendemain, me direz-vous ? Mais non ! Pas d'escalade pour moi cependant, bien que la tentation soit grande. Mais une douleur diffuse et persistante au tendon d'Achille ne me permet pas de céder à l'appel de la verticalité. Paradoxalement, la course à pieds en montagne, bien que non recommandée, ne me fait pas souffrir sur le coup, et je pars explorer le vallon de Clapouse avec Cécile, sur 1000 m de dénivelée seulement, le vallon menant à la pointe de Celse Nière 3429 m, un peu beaucoup pour une journée de repos..

L'après-midi, un départ groupé.. en voitures nous amènera, avec les "locaux" Pierre et Marie-Loï, au plan d'eau de La Roche de Rame, en aval de l'Argentière la Bessée, où le mot farniente prend tout son sens, incluant gloutissement de glaces et boissons fraîches et ébats natatoires...

 

Jeudi 16 : nous montons à trois cordées au refuge du Sélé. Décidément, l'engouement pour l'alpinisme attire les grimpeurs ! Aux deux cordées de Roche Faurio et de la Barre des Ecrins vient s'ajouter une cordée de choc : Jef-Mylène.

L'absence de Scrabble au refuge du Sélé, que nous dénoncerons peut-être par courrier recommandé à la fédération, empêche Jean-Pierre de nous humilier une fois de plus, tant pis ! Le soir, un quidam alpiniste, dont les bacchantes lui auraient autorisé la candidature à la série télévisée "les brigades du Tigre", nous joue des airs.. de violoncelle, instrument qui l'accompagne dans ses ascensions, et qui devrait délivrer ses accords demain au sommet de l'Ailefroide, si tout va bien ! Chapeau l'artiste !

De notre côté, c'est sur la Pointe des Boeufs Rouges que nous souhaitons nous rendre à quatre pattes, par l'arête nord. Ne me demandez pas pourquoi les Boeufs sont Rouges : certes, le rocher tire ici sur le carmin, mais nous n'avons pas vu de troupeau au col du Sélé..

Dès la fin de la nuit, après un parcours d'orientation sur les moraines (merci la frontale Nao 2), la glace noire du glacier du Sélé suinte, la neige est molle, bref, pas de regel nocturne à 2800, 3000, 3200 m.. Quelques crevasses nous rappellent que nous sommes sur un glacier, et ma jambe passe à travers un pont de neige : "tendue, la corde, bordel !" Oups ! Cet écart de langage m'échappe, mais au moins, la corde se tend instantanément..

L'arête nord de la Pointe des Boeufs Rouges est assez longue, aussi longue que celle de la Barre des Ecrins. Le rocher y est plus friable, et, vous l'aurez compris, toutes les précautions sont prises pour l'assurance des seconds. Seuls Jef et Mylène, à corde tendue, filent vers le sommet à bonne allure, ils nous y attendront une heure..

La vue sur le bassin glaciaire de la Pilatte est magnifique, la célèbre face nord des Bans est impressionnante, mais sèche de chez sèche, pas un gramme de neige dans cette célèbre paroi réputée pour ses goulottes..

Quelques photos, quelques repères (les Rouies, la Meije, etc...), et nous voilà sur le retour, avec mille précautions, et même un détour inattendu imposé par Cécile, avec raison sans doute : en montagne, quand on ne le sent pas, on a le droit de ne pas y aller..

La retour sur le glacier nous permet de le voir fondre en direct : sur la glace noire, des filets d'eau de fonte coulent, se rejoignent, deviennent torrents ; ce qui nous donne l'occasion de suivre la bédière principale, et de visiter le moulin qui l'absorbe, dont on ne voit pas le fond..

Retour au refuge, puis descente au camping à Ailefroide ; encore une "bonne" journée de 15 heures..

Les photos : https://picasaweb.google.com/JeanLeCorre31/PointeDesBoeufsRouges3516M?feat=email

 

Je ne saurais terminer le compte-rendu de cette semaine sans évoquer les sympathiques repas du soir partagés avec les grimpeurs, au camping d'Ailefroide. Les dispositions prises par Marie et Philippe, les coups de main opportuns de Marie-Loï et Pierre ont fait de ces moments des temps de convivialité appréciés de tous.

L'idée d'un camp multi-activités (escalade, alpinisme, rando alpine, rando-course, etc..) pourrait être développée ; elle a séduit, elle a fonctionné, et a peut-être donné des envies de découverte à des spécialistes d'un domaine..

Rendez-vous en 2016 ?    

 

 

 

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