Je devais encadrer une sortie ski de rando niveau initié samedi, puis co-encadrer une deuxième dimanche avec Gérard (Gomez). En début de semaine, avant les inscriptions du jeudi, Gérard m’envoie un message pour me proposer de grouper nos sorties. Le but est de partir plus loin profiter d’un départ haut mais original, afin de changer des habituels Baqueira, Andorre, Piau lorsque la neige fuit au dessus de 2000m.
Je n’hésite pas longtemps (< 1 mn) d’autant que la proposition est alléchante : aller explorer les environs du refuge du Cap de Llauset, au sud-est de l’Aneto. Je confirme donc, et nous nous retrouvons jeudi pleins d’enthousiame dans un club bien rempli. Je prends les inscriptions mais comme je suis malade je ne sais pas si je pourrai venir au final.
Finalement tout va bien et samedi matin, nous prenons la route avec Aude, Jean-Marc, Philippe, Pierre, Régis et Enne. Grand beau prévu tout le week-end, et une petite couche de neige fraîche est tombée dans la nuit de jeudi à vendredi : ça promet !
La route est déneigée jusqu’au tunnel, et ce dernier n’est pas obstrué par une avalanche : tout le monde s’équipe skis sur le sac pour s’enfoncer dans les entrailles du monde. Nous rejoignons le lac de Llauset que nous longeons prudemment : la poudreuse tombée la veille permet de cheminer avec suffisamment d’adhérence sur le chemin recouvert de neige durcie et tracé par les passages précédents. Au retour, je pressens que les crampons seront nécessaires.
Nous chaussons à l’autre extrémité du lac, skis équipés des couteaux, et après avoir franchi un petit col nous gagnons le refuge. Il y a en effet 5 à 10 cm de neige fraîche, ça peut promettre de belles descentes notamment en altitude où nous l’espérons, la neige n’aura pas le temps de réchauffer d’ici le lendemain. Nous mangeons et installons nos affaires dans le refuge.
Gérard nous montre un couloir en face du refuge : c’est pile sur notre chemin du retour, après le pic de Vallibierna qui est au programme de l’après-midi. Avis aux amateurs !
Régis nous prévient qu’il est fatigué : il n’ira pas au sommet pour se reposer en espérant que demain ça aille mieux.
Nous nous remettons en route, toujours avec les couteaux. Nous rejoignons les laquets de Coma Arnau puis remontons le long vallon jusqu’à une pente qui mène à un col entre une crête sans nom et le pic de Vallibierna. La crête qui mène à l’antécime du Vallibierna est en neige très dure, et le vent nous assaille : la prudence est de mise.
Tout le monde s’emmitoufle car l’air est glacial, particulièrement au sommet. Nous ne poussons pas jusqu’au vrai sommet car la crête est longue et sans protection avec un tel vent, c’est trop exposé. Le groupe redescend rapidement sous la direction de Gégé, pour fuir le froid, pendant que j’attends Jean-Marc qui a eu une crampe dans la montée : ça finit par passer et nous pouvons nous aussi redescendre en dérapage jusqu’au col, puis skier la poudreuse compactée plutôt de bonne qualité.
Le groupe rejoint, nous poursuivons notre descente le long de la vallée puis scindons le groupe en deux au niveau du dernier laquet : à gauche retour tranquille au refuge, à droite le couloir. Gérard, Philippe et moi prenons l’option de droite : nous sommes dans un esprit ludique même si la neige y est probablement dure. Après un court trajet en canard sur la crête, nous rejoignons le haut du couloir. C’est béton. Gérard se dévoue et confirme que ça tient, donc que la descente est possible. Philippe le suit et je ferme "courageusement" la marche. Au début c’est du dérapage, puis progressivement du virage dérapage, puis quelques virages dans de la glace pilée issue des dérapages du haut du couloir. Déjà le couloir s’évase, les virages se font plus larges et je viens taper dans la main de Gégé et Philippe qui m’attendent, un grand sourire plein d’adrénaline sur le visage.
L’autre partie du groupe nous a précédé au refuge, et nous font part de leur observation de nos hésitations visibles avant d’entamer le couloir. Probablement une hallucination collective de leur part…
Nous nous installons, après avoir discuté avec une cordée espagnole qui vient de faire un couloir en alpi au pic de Russell. La fille est visiblement épuisée par cette longue course entamée à 5h du matin, mais contente.
Nous prenons un verre en attendant le repas, qui est très bon. Tout le monde va se coucher, je traîne un peu avec Enne qui n’a pas envie de dormir tout de suite lui non plus, puis nous regagnons la chambre de 6. On est bien, malheureusement sur la terrasse un groupe d’espagnols très gais discute et rit pendant une heure : c’est les refuges, mais c’est plus joyeux que les ronflements il faut bien avouer.
Le lendemain, reposés tout de même, nous nous dirigeons vers le col de Vallibierna, à rythme très maîtrisé pour que Régis puisse suivre. Le col de Vallibierna se fait sans difficulté puis après une descente nous attaquons le col de Soler, ou plutôt la brèche située juste à sa droite. Comme c’est raide sur la fin, nous quittons les skis pour enfiler les crampons. La neige est déjà décaillée, ça pourrait faire une jolie descente. Tout le monde débouche peu à peu de la brèche sous mes encouragements auxquels se joignent les encouragements du reste du groupe qui prennent du volume au fur-et-à-mesure que les participants reprennent leur souffle.
Deux espagnols sont montés en même temps que nous et décident d’appeler ce passage « la directa francesa ».
Régis est fatigué, je laisse Gérard partir devant le temps qu’il récupère avec la ferme intention de l’emmener au pied du sommet du pico de las Tempestades. Malheureusement quand nous rejoignons le groupe au bout de la crête pour entamer la progression sur la grande pente sud, Régis indique qu’il ne souhaite pas aller plus loin. Etant donné qu’au retour il y aura le col de Vallibierna à franchir, c’est sans doute plus sage qu’il se repose au soleil en attendant notre retour.
Nous voilà partis derrière Gérard qui fait le pas du guide : à rythme régulier, sans précipitation, mais qui permet d’aller loin et longtemps. Une fois sous le sommet, Gérard (qui l’a déjà fait) et Aude patientent pendant que Philippe, Pierre, Enne, Jean-Marc et moi dégainons crampons et piolet pour parcourir les derniers mètres assez raides et en neige dure. Là-haut un panorama magnifique nous attend, avec l’Aneto dont seule une arête nous sépare, qui nous surplombe, sa croix blanche bien visible.
Pendant que tout le monde redescend, j’opte pour une descente à ski à mi-couloir, des rochers empêchant la descente complète. La neige est dure donc je descends en dérapant tranquillement pour commencer, puis je peux enchaîner quelques virages pour ensuite slalomer entre les rocailles sous la sortie du couloir. La neige est bonne, pas légère mais encore souple sous le soleil chaud. Tout le monde profite de la descente, puis nous décidons une grande traversée jusqu'au col de Soler au lieu de descendre vers le lac en contrebas : le chemin de retour est encore long, et la neige sera sans doute trop lourde pour être agréable.
Nous parvenons au col sans déchausser, en trouvant un passage enneigé en continu, et retrouvons Régis qui nous attend, skis aux pieds. La descente depuis le col est en neige parfaitement décaillée, c'est un régal ! Nous repeautons pour gravir le col de Vallibierna, puis de nouveau une descente en neige de printemps, sauf les parties à l'ombre qui sont tôlées.
Après avoir récupéré de justesse nos affaires au refuge en train de fermer à 17h (heureusement qu'on n'a pas prolongé jusqu'au premier lac !), nous continuons notre descente pour regagner le lac de Llauset. Là deux écoles: ceux qui veulent passer à skis bien au-dessus du chemin d'été emprunté à l'aller, et qui finiront au ras du lac après s'être heurtés à des barres rocheuses déneigées et une descente en neige très dure. Ceux qui n'ont pas envie de s'embêter avec un hypothétique "skis aux pieds" et qui déchaussent au lac, s'équipent des crampons/piolet et empruntent le chemin de l'aller. Au final tout le monde se retrouve en crampons sur le chemin glacé. Nous empruntons le tunnel qui nous amène en pente douce jusqu'aux voitures, où un coucher de soleil nous attend. Belle façon de terminer ce séjour !
Gérard rêve déjà du kébab qui va venir reconstituer ses forces, sollicitées par ce splendide parcours d'un week-end. Les alentours du refuge du Cap de Llauset: un endroit plein de potentiel à 2h30 de route, qui mérite d'y passer un peu de temps !